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Décentralisation française et réunionisme wallon
par Cédric Chopin
Tirée de la revue Wallonie-France (n°48, mai-juin 2003), nous remettons à l’honneur cette contribution de Cédric CHOPIN (Oise, France). C’était l’une des premières réflexions visant à explorer l’hypothèse de la réunion de la Wallonie à la France dans le nouveau contexte des lois de décentralisation françaises. Entre-temps, d’autres dispositions sont effectivement venus compléter ce mouvement continu. Mais l'article garde tout son intérêt.
Mon raisonnement est le suivant : La France a inscrit la décentralisation dans sa Constitution. Des lois vont prochainement transférer personnels et compétences, ou permettre des référendums locaux.
Ces textes, outre leurs conséquences concrètes, contribuent à établir un nouveau climat, plus favorable aux régions. Il garantit le respect de l'identité wallonne par les gouvernants français. Quelques années plus tôt, les choses auraient été plus difficiles.
Mais seule la dimension culturelle de la réforme peut servir à la Wallonie.
En effet, même si la Constitution permet désormais la création de "collectivités à statut particulier", ces dispositions sont essentiellement applicables à des territoires comme la Corse ou les départements d'outre-mer (mais il convient toutefois de noter que lors du référendum consultatif du 7 juillet dernier, les Corses, on le sait, ont refusé le statut " d’exception " qui leur était proposé, ndlr).
La réunion, si elle se réalise, sera un événement si particulier, et la Wallonie un territoire si spécifique, avec toute son histoire liée à la Belgique, que l'on ne peut l'inscrire dans le cadre du processus actuel de décentralisation.
Selon moi, la Wallonie devra bénéficier d'une place particulière dans la Constitution, à la manière de ce qui a été fait pour la Nouvelle-Calédonie.
Le principal obstacle à la réunion, ou même à l'association, reste à ce jour la crainte de la majorité de la population wallonne de se voir annexée purement et simplement, sans respect pour ses spécificités ou son histoire.
Ce sentiment d'appréhension, même s'il est tout à fait naturel, est totalement infondé. Seuls des gens de mauvaise foi, avant tout soucieux de discréditer, utilisent ce type d'arguments (ce sont souvent les mêmes qui établissent un parallèle entre les idées réunionistes et celles du Vlaams Blok/Belang...).
La France connaît en effet depuis deux décennies une évolution culturelle, mal connue hors des frontières car progressive, mais de portée considérable.
La Wallonie, si elle en fait la demande, pourra bénéficier de garanties qui lui permettront de préserver son autonomie, son identité et surtout l'héritage belge.
Première garantie :
LA TRADITION DÉCENTRALISATRICE FRANÇAISE
Voilà un titre paradoxal qui en laissera plus d'un sceptique... Pourtant, la France n'est pas le "monolithe homogène", dirigé depuis Paris par des élites méprisant " la province ", que l'on dépeint parfois.
Certes, des excès ont eu lieu, à l'époque napoléonienne d'abord, puis lors des Trente Glorieuses (politiques planificatrices, migration vers Paris des capitaux, des entreprises et des hommes), et enfin durant les années septante, durant lesquelles le système ne fut pas loin de la sclérose.
Mais cela appartient désormais au passé. La France a retrouvé sa tradition du respect des "petites patries" qui fut la sienne pendant la Troisième République et le début de la Quatrième.
LES PRINCIPAUX TEXTES DÉCENTRALISATEURS
La loi du 2 mars 1982, " relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions ", marque un tournant dans l'histoire administrative française.
Elle supprime la tutelle administrative : le contrôle a priori des décisions locales n'existe plus. Les actes des communes, départements, et régions sont exécutoires de plein droit dès leur publication ou leur notification aux intéressés, et leur transmission au représentant de l'État (préfet ou sous-préfet)...
Dans un premier temps, les collectivités n'ont de compte à rendre à personne. De sorte que ces cérémonies où l'on peut voir les bourgmestres nouvellement élus prêter serment sont inconnues en France : le conseil municipal élit le maire, et cette délibération est exécutoire de plein droit.
Le contrôle s'effectue donc uniquement a posteriori par le représentant de l’État et, le cas échéant, les tribunaux administratifs. Il porte sur la légalité des actes, jamais sur leur opportunité.
Pour le contrôle financier, des chambres régionales des comptes sont créées. Elles contrôlent, a posteriori également, les actes budgétaires et comptables.
La loi supprime, d'une façon générale et en allant assez loin, les verrous juridiques qui faisaient des collectivités des personnes morales éternellement " mineures ".
La loi de 1982 fut complétée par les lois des 7 janvier et 22 juillet 1983 relatives à la répartition des compétences entre les collectivités locales et l’État.
Deux lois, en 1984 et 1987, ont fixé le statut de la fonction publique territoriale, qui devait être mieux encadré pour éviter l'arbitraire lors du recrutement des agents.
La loi du 27 février 2002, relative à la démocratie de proximité, confie aux collectivités de nouveaux pouvoirs concernant l'économie, la culture, le patrimoine et l'environnement.
Citons enfin la loi du 12 juillet 1999 sur la coopération intercommunale qui donne aux groupements de communes de nouvelles possibilités d'agir pour les transports urbains ou le " zoning " industriel.
Au fil du temps, les communes ont élargi leurs compétences, par exemple en matière d'urbanisme, de police municipale, d'enseignement élémentaire.
- Les départements ont reçu les transports scolaires, l'action sociale et, quelques années plus tard, la gestion du R.M.I. et de l'allocation des personnes âgées.
- Les régions ont été chargées entre autres de l'entretien des lycées, de la formation professionnelle, de l'apprentissage.
- La régionalisation des transports ferroviaires locaux s'est achevée en 2002. Les régions ont passé chacune une convention avec la SNCF. Elles financent le matériel roulant, les gares, et supervisent les horaires et les cadences.
UNE NOUVELLE DONNE CULTURELLE
Le processus de décentralisation s'inscrit donc dans la longue durée. II n'a pas connu de régression depuis plus de vingt ans. Les collectivités ont eu le temps d'assimiler leurs nouvelles responsabilités.
Les initiatives prises localement (urbanisme, transports, culture...) suscitent désormais la bienveillance des autorités, et non plus la suspicion permanente qui, c'est vrai, était celle des " technocrates " parisiens avant 1982.
Des villes, telles que Lille, Nantes, Toulouse, etc., ne sont plus considérées comme des " villes de province ", mais ont acquis le rang de "métropoles régionales".
Souvent, des hebdomadaires tels que L'Express ou Le Point ajoutent des pages locales ou éditent des " unes " différentes selon les endroits.
Enfin, il faut noter que le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin doit plus sa nomination à son passé de président de la région Poitou-Charentes qu'à son passage au ministère des PME et du Commerce.
La loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République, adoptée définitivement par le Congrès (Chambre et Sénat réunis) le 17 mars 2003, tend notamment à consacrer le principe de décentralisation.
En stipulant que les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon, elle ouvre la voie à la délégation de nouveaux pouvoirs.
Elle reconnaît le droit à l'expérimentation, pour une durée et un objet déterminés, en matière légale et réglementaire, et donne un nouveau cadre juridique aux DOM-TOM (*).
D'ici à 2004, plusieurs autres textes seront adoptés, sur l'expérimentation locale et le transfert des compétences.
Affaire à suivre, donc, car il est clair que la réflexion réunioniste va trouver dans cette réforme une source d'inspiration inédite.
Seconde garantie : LES MODALITÉS DE LA RÉUNION
Il est difficile de faire de la prospective sur un tel sujet. Mais ne rien imaginer serait irresponsable.
Voici donc un schéma où toutes les assurances sont offertes aux Wallons:
1. Négociation et rédaction du traité d'adhésion.
Il devra décider notamment des choses suivantes :
- la première liste de lois fédérales belges, qui feront partie du droit local wallon (ex.: concordat, droit associatif, droit communal, etc...), modifiables par la Wallonie seule.
- la liste des lois identiques ou équivalentes (ex. : état civil, avortement à 12 semaines...), qui conserveront localement leur forme antérieure "wallonne", mais qui seraient modifiables au niveau national en même temps que le droit " français ". C'est un système déjà utilisé pour les DOM-TOM.
- le fonctionnement, l'organisation et les compétences des institutions wallonnes.
- la méthode par laquelle les problèmes laissés en suspens seront réglés après la réunion (ex.: lois différentes en matière fiscale).
- les points à régler nécessairement avant la réunion (code de la nationalité, lois électorales, lois manifestement incompatibles).
- le déroulement des différentes étapes de la réunion, et la description précise des garanties offertes.
Pour certains domaines importants, les négociateurs devront rendre compte devant le parlement wallon, voire la population elle-même.
Il est possible d'imaginer que des votes ou des référendums "intermédiaires" soient organisés (ex.: maintien du concordat, système de sécurité sociale...) afin de définir a priori ou de confirmer a posteriori les orientations.
Le traité définitif sera sans doute précédé d'un traité provisoire, chargé d'organiser la période de transition (ex.: sur un plan financier) entre la fin de fait de la Belgique et le référendum d'adhésion à la France. Les négociations dureront en effet sans doute plusieurs mois, peut-être plus d'un an.
Une seconde période de transition, prévue dans le traité final, débuterait alors, pour s'achever à l'entrée en vigueur de la loi sur le statut de la Wallonie.
2. Inscription du traité dans la Constitution française.
Cette garantie a déjà été utilisée pour la Nouvelle-Calédonie. L'accord de Nouméa du 21 avril 1998, signé par le gouvernement et les représentants des Européens et des Mélanésiens, a donné au "Caillou" un statut pour les vingt années suivantes.
Avant l'organisation, sur son territoire, du référendum relatif à ce texte, les articles suivants ont été intégrés à la constitution :
Titre XIII:
Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie.
Article 76 :
Les populations de la Nouvelle-Calédonie sont appelées à se prononcer avant le 31 décembre 1998 sur les dispositions de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au journal officiel de la République française.
Sont admises à participer au scrutin les personnes remplissant les conditions fixées à l'article 2 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988.
Les mesures nécessaires à l'organisation du scrutin sont prises par décret en Conseil d’État délibéré en Conseil des ministres.
Article 77 :
Après approbation de l'accord lors de la consultation prévue à l'article 76, la loi organique, prise après avis de l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie, détermine, pour assurer l'évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en œuvre:
- Les compétences de l’État qui seront transférées, de façon définitive, aux institutions de la Nouvelle-Calédonie, l'échelonnement et les modalités de ces transferts, ainsi que la répartition des charges résultant de ceux-ci ;
- Les règles d'organisation et de fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie et notamment les conditions dans lesquelles certaines catégories d'actes de l'assemblée délibérante pourront être soumises avant publication au contrôle du Conseil constitutionnel;
- Les règles relatives à la citoyenneté, au régime électoral, à l'emploi et au statut civil coutumier ;
- Les conditions et les délais dans lesquels les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront amenées à se prononcer sur l'accession à la pleine souveraineté.
- Les autres mesures nécessaires à la mise en œuvre de l'accord mentionné à l'article 76 sont définies par la loi.
Il est donc envisageable que des alinéas constitutionnels soient adoptés préalablement à la ratification du traité. Ceux-ci devront indiquer notamment :
- que la loi (éventuellement organique) détermine les règles d'organisation et de fonctionnement des institutions de la Wallonie, ainsi que la répartition des compétences entre la collectivité wallonne et l’État. .
- que la loi évoquée ci-dessus ne peut être en contradiction avec le traité de réunion (sans faire référence ni à une date ni à un lieu de signature, ce qui laisse la porte ouverte à une éventuelle renégociation).
3. Ratification du traité par référendum en France et en Wallonie
Pour l'adoption du traité, la procédure référendaire est une évidence.
C'est également une sécurité, car un vote d’acceptation en France serait un engagement du peuple tout entier à respecter les accords pleinement et sincèrement.
En Wallonie, un oui massif sera indispensable, et il ne s'obtiendra qu'à la condition que le traité donne satisfaction à la population, en atteignant les objectifs de continuité et d'échange. Si le non l'emporte, ou si le oui gagne de justesse, l'ensemble du texte, ou ses dispositions controversées, pourraient être renégociées.
Le rattachement sera officiel à l'entrée en vigueur du traité.
4. Discussion et adoption de la loi (éventuellement organique) relative au statut particulier de la Wallonie
Il s'agira ensuite d'inscrire les termes du traité d'adhésion dans la législation française.
Le projet de loi est présenté au Parlement, au sein duquel siègeront les parlementaires élus en Wallonie.
Ces derniers seraient environ quarante à l'Assemblée Nationale et une vingtaine au Sénat (avec Bruxelles), ce qui est suffisant pour faire poids et éviter toute dérive. Nul doute qu'ils seront attentifs au respect des intérêts wallons et qu'ils laisseront de côté, pour ce texte-là, les différences partisanes.
Dans le climat de consensus qui serait celui de ce moment somme toute historique, aucun parlementaire français n'aura d'arrière-pensées visant à reprendre ce qui aura été cédé.
De plus, les changements apportés lors de la discussion ne pourront concerner que la forme du texte, ou éclaircir certains points du traité laissés volontairement imprécis. A moins d'encourir la sanction du juge constitutionnel.
La loi adoptée pourra être soit ordinaire, soit organique. Les lois organiques ressemblent aux lois spéciales belges. Elles portent le plus souvent sur l'organisation des institutions. La Constitution peut toutefois élargir leur champ d'action, comme dans l'exemple néo-calédonien.
5. La loi est soumise au contrôle de constitutionnalité
La loi relative au statut de la Wallonie subira un dernier contrôle avant son entrée en vigueur.
S'il s'agit d'une loi ordinaire, la transmission au Conseil constitutionnel est facultative, et peut être demandée par le Président de la République, les présidents des assemblées ou soixante députés ou soixante sénateurs.
Si les autorités françaises s'engagent lors des négociations à entendre le jugement des "neuf sages", on les voit mal renoncer au dernier moment à cette ultime vérification.
Dans le cas d'une loi organique, la transmission est obligatoire, ce qui pourrait rassurer les plus méfiants.
Concrètement, le Conseil constitutionnel a le pouvoir de censurer toute disposition contraire à la Constitution, et donc toute disposition contraire au traité d'adhésion qui aura, rappelons-le, valeur constitutionnelle.
Plusieurs alinéas de la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie ont ainsi été effacés, car non conformes au traité de Nouméa.
Après la décision du Conseil, la loi peut être promulguée et entrer en vigueur.
Il reviendra alors aux Wallons de faire vivre ces accords, et de trouver leur place dans le nouvel espace national.
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