Les tenants fidèles de la monarchie nous répètent à satiété les atouts d’un roi, en particulier celui de son indépendance à l’égard des partis politiques, des idéologies (y compris religieuses ou philosophiques) et des groupes de pression, alors qu’un Président de la République, toujours élu dans une République, que ce soit de façon directe comme c’est le cas en France depuis la Cinquième République, ou indirecte, dans d’autres pays, ne représenterait qu’une partie de la population et serait donc tributaire d’une option politique au détriment des autres.
Tout cela est fort bien. Il n’en demeure pas moins que nous venons d’assister récemment à deux prestations royales qui ne sont guère en accord avec ces beaux principes.
Lors du discours du 20 juillet 2013, dans lequel Albert II confirmait son abdication, l’image en gros plan d’Elio di Rupo est apparue à deux reprises.
La première fois, on l’a montré prêtant serment « entre les mains du Roi », selon la formule consacrée, tandis qu’Albert II dans sa communication soulignait la compétence, le sens de l’intérêt général et du nécessaire compromis de son Premier ministre.
La deuxième fois, c’était toujours le Premier ministre qui apparaissait aux côtés du chef de l’Etat lors de la signature officielle de l’accord institutionnel portant sur la sixième réforme de l’Etat. L’importance de la scène était encore soulignée par un sourire complice.
Le lendemain, le monarque a prononcé un discours d’adieux que les thuriféraires de la monarchie belge ont qualifié d’« émouvant ». Mais dans sa conclusion, il n’a pas manqué de remercier vivement son Premier ministre : « Je voudrais […] rendre un hommage particulier au Premier ministre qui a accepté et accompli avec succès la difficile mission de former ce gouvernement et qui […] a pris les mesures nécessaires pour préserver au mieux le bien-être de tous les Belges ».
Ce qui a amené le journaliste du magazine Paris-Match du 25 au 31 juillet 2013 à souligner, dans un élan d’enthousiasme qui lui a fait oublier l’affirmation d’un monarque impartial et au-dessus des partis :
« La complicité d’Albert II et d’Elio Di Rupo illustrée par des discours profondément touchants… »
Du coup, les autres ministres d’Elio Di Rupo ont étés réduits « quasi au rang de figurants » (Le Vif/L’Express, 26 juillet 2013, p. 19) et même les Premiers ministres précédents, Jean-Luc Dehaene, Guy Verhofstadt, Yves Leterme, Herman Van Rompuy (tous Flamands et plutôt situés à droite), ont été passés sous silence, alors même que le roi faisait une rétrospective de ses vingt ans de règne …
Manifestement, Albert II a choisi clairement son camp, en l’occurrence celui d’un Premier ministre francophone et socialiste pour lequel il s’est engagé très ouvertement, dans deux interventions successives répercutées par tous les médias.
Or, sur le plan des principes constitutionnels, il est bien établi que « le roi règne mais ne gouverne pas », selon la formule bien connue, et qu’il ne peut dès lors exprimer publiquement une opinion qu’avec l’accord du gouvernement, puisque ses déclarations sont toujours contresignées par le Premier ministre. Dans le cas présent, ce comportement pour le moins étonnant d’Albert II amène le professeur et sénateur CDH Francis Delpérée, pourtant ardent défenseur de la monarchie, à déclarer sans ambages :
« Lorsque le Roi souligne qu’il est très content de son Premier ministre, c’est parce que le Premier ministre est très content de lui-même. » (Le Vif/L’Express, 26 juillet 2013, p. 20)
Alors, le Roi agent électoral et porte-voix de Di Rupo ? On me rétorquera que c’est précisément ce qui se passe en France lorsque le Président de la République défend le bilan de son Premier ministre. Certes, mais le Président lui, a été élu par le peuple, alors que le roi, même constitutionnel, ne dispose d’aucune légitimité démocratique et que son principal avantage déclaré est précisément d’être au-dessus des partis !
Ainsi, qu’il le veuille ou non, Albert II est devenu, par ses deux dernières interventions publiques, un parfait contre-exemple, en totale contradiction avec le fameux argument si souvent mis en exergue en faveur d’un chef de l’Etat non élu qui serait au-dessus de la mêlée. Gênant, n’est-ce pas ?
Billet d’Albet Barral