La monarchie belge inspire souvent des sentiments de sympathie amusée ou attendrie en France. Mais combien de Français savent ce qui se cache derrière l’histoire des vainqueurs, c’est-à-dire l’histoire officielle de la famille de Saxe-Cobourg-Gotha?
Peut-être faut-il ici rappeler quelques fondamentaux historiques rarement dits dans la presse officielle.
D’abord, la Belgique n’existe pas, ou alors seulement depuis 1794: par l’effet du rattachement à la France révolutionnaire, puis impériale. Perpétuée dans l’esprit saugrenu du Congrès de Vienne de 1815 pour établir un glacis stratégique entre la France et les puissances du nord de l’Europe, elle n’avait jamais eu d’existence indépendante avant cette date (note du R.W.F. : la longue autonomie de la Principauté de Liège en est le meilleur exemple)..
Initialement, la Belgique est la partie méridionale du Royaume de Hollande. Belle opération d’annexion pour la famille d’Orange, qui tire ainsi son épingle du jeu à Vienne. Le problème est que les Hollandais n’ont jamais formé d’entité politique avec cette frange de territoire historiquement disputée entre la France et l’empire germanique. Assez vite, les affaires tournent mal et les Belges décident de faire sécession en 1830.
En 1830, le Congrès national belge demande au fils du roi de France Louis-Philippe de revêtir la couronne de Belgique. Une idée tout à fait naturelle à l’époque: la Belgique n’a imaginé un destin commun entre ses territoires qu’à travers le rattachement à la France, porteuse (à cette époque) de modernité et d’avenir. L’élite belge est alors profondément francophile.
Les Anglais s’opposent farouchement à une opération qui permettrait à la France, 15 ans après la chute de l’Empire, de revenir à ses frontières naturelles. Ils imposent donc un petit prince allemand, Léopold 1er de Saxe-Cobourg-Gotha, comme roi de Belgique. Démarche identique à celle suivie en Grèce où la couronne est confiée à un prince bavarois. La logique de domination britannique est à l’œuvre.
Qui est Léopold 1er? Proche de la famille impériale russe, il s’engage dans l’armée du Tsar en 1808 pour combattre les troupes françaises. Il épouse en 1832 la fille de Louis-Philippe, signal de reconnaissance envoyé aux Français, qui viennent de libérer Anvers reprise par la Hollande. Mais sa gratitude pour la France est de courte durée: il inaugure une tradition familiale de francophobie, qui le conduit à marier ses enfants aux familles germanophiles et anglophiles d’Europe, même s’il donne périodiquement le change (en aidant timidement les Français lors de l’expédition du Mexique, par exemple).
Son fils Léopold II (arrivé au trône en 1865) reprend très vite à son compte la tradition familiale d’infidélité conjugale, jusqu’à s’éprendre, en 1899, d’une adolescente qu’il épousera en 1902 (une fois devenu veuf). Il s’illustre par la conquête du Congo, domaine personnel du roi jusqu’en 1908, année où il cède ce territoire à la Belgique. Entre-temps, une commission d’enquête s’est réunie pour tirer au clair les accusations de mauvais traitements (finalement plus qu’avérés) sur la population indigène.
Léopold établit pour longtemps l’idée selon laquelle l’Afrique est le domaine réservé du roi.
Son neveu Albert 1er de Belgique est resté comme un héros national, par la résistance qu’il conduisit contre l’armée allemande de 1914 à 1918. L’histoire est un peu plus compliquée: Albert multiplie les contacts officieux avec le gouvernement allemand pour obtenir une paix négociée. Ces manœuvres resteront sans effet.
En 1919, Albert 1er décide d’accorder aux Belges le suffrage universel…
L’arrivée au trône de Léopold III, épisode mal connu en France, illustre bien toute la problématique de la famille royale belge, d’essence allemande, et structurellement francophobe.
Alors que la montée du nazisme constitue une évidente menace pour l’Europe, Léopold III s’enferre dans la neutralité imposée à la Belgique par l’Angleterre en 1830 (note du R.W.F. : avec la bénédiction du Mouvement flamand). Même si le contexte belge a radicalement changé, cet héritage diplomatique est invoqué par le Roi pour ménager l’Allemagne, qui lui en sera reconnaissante. Dès 1936, la coopération militaire franco-belge est interrompue. En 1939, Léopold III déploie des troupes à la frontière française pour empêcher une action militaire préventive française.
Quoique, formellement, Léopold III collabore avec l’état-major français pour anticiper une attaque allemande, les relations sont froides et la suite explique pourquoi: Léopold III signe un armistice au bout de 18 jours, et refuse de quitter la Belgique pour continuer la lutte contre l’occupant allemand. Il épouse la gouvernante de ses enfants (il est veuf depuis 1935) pendant la guerre, et se laisse ensuite, en 1944, complaisamment emmener en Allemagne par l’occupant.
Après la victoire des alliés, son retour sur le trône met la Belgique à feu et à sang, et manifeste pour la première fois la profonde division entre Flamands, favorables à son retour, et Wallons, majoritairement favorables à son abdication.
Finalement, en 1951, il abdique en faveur de son fils Baudouin 1er, profondément conservateur. Baudouin s’illustrera lui-même, notamment, par une forme compliquée d’abdication, en 1990, qui lui permet de ne pas donner son consentement à une autorisation partielle de l’avortement.
Je laisse chacun lire attentivement la biographie d’Albert II, dont les péripéties familiales font les choux gras de la presse belge. Entre les tensions avec son fils Laurent et la révélation d’une enfant naturelle, chacun peut aisément vérifier que les traditions des Saxe-Cobourg-Gotha sont encore bien vivantes.
Je noterai simplement que c’est l’activisme (justifié) des indépendantistes flamands qui a mis sur la table la question des dotations exorbitantes (près de 12 millions € annuels pour le seul Albert II) versées aux Saxe-Cobourg. Si la famille a gardé son trône, c’est pourtant par une alliance objective avec le mouvement flamand, au sortir de la guerre.
On n’est jamais lâché que par les siens.