Elle a beau être sortie sans trop d’encombre de la plus longue crise gouvernementale de l’histoire mondiale – commencée en avril 2010, elle s’est résolue 540 jours plus tard -, la Belgique reste éminemment fragile. Et ses élites ont, déjà, les yeux rivés sur le printemps 2014, moment d’un nouveau scrutin fédéral et régional. Un homme, Bart De Wever, compte réaliser alors la performance que les sondages prédisent à son parti, l’Alliance néo-flamande (NVA) : 40 % des voix et l’assurance d’être non seulement le plus grand parti de Flandre mais celui qui transformera profondément le système fédéral belge.
Soit parce qu’il trouvera suffisamment d’alliés pour réaliser le très vieux rêve d’émancipation de ce qui fut naguère le « mouvement flamand » ; soit parce qu’il parviendra, à partir d’un gouvernement régional dont il prendrait la tête à bloquer l’ensemble des institutions fédérales et à traduire en une évidence ce qui n’est, à l’heure actuelle, qu’un diagnostic : la Belgique est ingouvernable. Parce que « deux société » s’y côtoient mais n’auraient rien en commun. Ni la même langue, ni les même préoccupations socio-économiques, ni le même paysage politique.
Avec une ténacité sans faille, M. De Wever a successivement conquis pour son parti une place au sein du gouvernement régional et la mairie d’Anvers, première ville de Flandre. Il a séduit le réseau des entrepreneurs, commerçants et classes moyennes qui a assuré la richesse de cette région. Il cible désormais les Bruxellois, les médias francophones et les dirigeants économiques, qu’il tente d’apprivoiser avec un discours libéral-conservateur et une critique narquoise d’un Parti socialiste dont il faut se demander, dit-il, si les Wallons votent pour lui parce qu’ils sont pauvres ou s’ils sont pauvres parce qu’ils votent pour lui…
Parallèlement, le maire d’Anvers s’attaque aux autres partis flamands – ceux qui gouvernent avec le socialiste wallon Elio Di Rupo – pour dénoncer leurs compromissions et leurs travers. Il vient d’obtenir la démission du ministre chrétien-démocrate des finances, Steven Vanackere. Peut-être parce qu’il s’était enferré dans un trouble dossier bancaire. Sûrement, parce que sa « famille »politique flamande, le Mouvement ouvrier chrétien (ACW), avait appelé à voter contre le parti indépendantiste.
En réalité, « la N-VA dessine à petites touches l’image d’un pays proche d’une république bananière, rongé par le cynisme et l’incurie », note le politologue Vincent de Coorebyter (note : ce n’est pas le R.W.F. qui le dit, mais l’un de nos meilleurs politologues !). Le parti, autre avatar du populisme européen, ressuscite dès lors l’hypothèse d’un éclatement de l’État belge. Mais M. De Wever ne veut pas effrayer les électeurs flamands qui adhèrent à son programme pour d’autres raisons que son projet indépendantiste : il leur fait miroiter l’hypothèse d’une « confédération belge ». Il n’en a jamais défini les contours, sans doute parce qu’ils sont impossibles à tracer.
Mais à l’évidence, les francophones belges n’y gagneraient rien.
Source : Le Monde, 18 mars 2013 – Jean-Pierre Stroobants