« Notre entrée dans Liège est une vraie récompense. Un peuple spirituel, sensible et fier nous a reçus avec cette fraternité républicaine que notre exemple et nos victoires propageront bientôt dans toute l’Europe. Cette nation vraiment digne de la liberté est une seconde nation française. »
Voici ce qu’écrivait à son Ministre de la guerre le général français Dumouriez, trois semaines après la victoire de Jemappes, lorsque Liège ouvrit ses portes aux armées françaises. Nous sommes donc vers la fin du mois de novembre 1792.
Retournons encore quelques années en arrière : 1789. C’est la Révolution chez notre grand voisin du sud. Depuis le 5 mai, les États Généraux sont réunis à Versailles. Les députés du Tiers-État veulent des réformes profondes et le 20 juin ils jurent de ne pas se séparer avant d’avoir donné un nouveau Régime à la France : c’est le fameux Serment du Jeu de Paume. Le 14 juillet, le peuple de Paris se soulève, cherche des armes et s’empare de la prison de la Bastille. Dans les campagnes, les paysans s’agitent çà et là, ils attaquent et brûlent les châteaux. C’est la panique : « la Grande Peur ». Les députés nobles s’alarment; dans la nuit du 4 août, ils décident d’abandonner leurs droits féodaux et leurs privilèges fiscaux. L’ Assemblée constituante rédige la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui proclame l’égalité des droits, la liberté individuelle, la liberté de penser, l’exercice du gouvernement par les représentants de la Nation.
Quelle est notre situation à nous, Wallons, pendant ces bouleversements ?
Les populations romanes de l’actuelle Belgique étaient à ce moment réparties entre trois entités politiques, d’importance inégale :
- les Pays-Bas, dits autrichiens ;
- la principauté épiscopale de Liège ;
- la principauté abbatiale de Stavelot-Malmedy.
Dans ces territoires s’était propagée la littérature philosophique française de Voltaire, de Rousseau, des Encyclopédistes. Plus particulièrement dans le pays de Liège où deux journalistes français, Pierre Rousseau en 1756 et Pierre Lebrun en 1785, étaient venus créer des périodiques de renom européen : Le Journal encyclopédique qui, interdit à Liège en 1759, poursuivit sa carrière à Bouillon et Le Journal général de l’Europe, à Herve.
Liège s’enorgueillissait à l époque du titre de capitale, capitale d’une Principauté épiscopale née en 985. Elle comprenait à cette époque les provinces de Limbourg et de Liège actuelles, la moitié de la province de Namur et une partie du Hainaut occidental. Liège, Verviers, Huy, Spa, Theux, Visé, mais aussi Dinant, Thuin, Marcinelle, Couvin, Châtelet, Florennes faisaient partie de cet ensemble.
Cette principauté était gouvernée par un prince-Evêque, Constantin de Hoensbroeck, élu par le Chapitre des chanoines de la Cathédrale Saint-Lambert et confirmé par le pape et l’empereur du Saint Empire romain germanique dont la principauté faisait partie.
Les événements de Paris aux mois de juin, juillet, août 1789 furent accueillis à Liège dans l’enthousiasme. Le 18 août, le peuple arracha au prince-évêque l’abolition de l’Édit de 1684 ( qui attribuait le pouvoir au Prince-évêque, aux chanoines de la Cathédrale Saint-Lambert et à l’aristocratie) et la reconnaissance comme bourgmestres des deux chefs de l’opposition : Jean-Jacques Fabry et le baron de Chestret. Quelques jours plus tard, le prince-évêque prenait la fuite et abandonnait la révolution à son sort.
Mais c’est dans le Pays de Franchimont que l’effervescence fut à son comble. Ce petit pays, composé des bans de Theux, Spa, Sart, Jalhay et Verviers, faisait partie de la Principauté épiscopale de Liège depuis le XVIème siècle, époque à laquelle les princes-évêques de Liège avaient pris le titre de marquis de Franchimont. Le siège du marquisat était le château de Franchimont (près de Theux ).
En ce mois d’août 1789, Laurent François Dethier, jeune avocat et bourgmestre de Theux, invita les représentants des communautés du Franchimont au Pré Cornesse, près de l’église de Polleur.
Cette assemblée reçut par la suite le nom de Congrès de Polleur.
On y adopta à l’unanimité, le 16 septembre 1789, la troisième déclaration des droits de l’homme et du citoyen jamais élaborée de par le monde. La première fut le Bill of Rights promulguée le 12 juin 1776 dans l’État de Virginie et qui préfigure la Déclaration d’indépendance américaine du 4 juillet 1776. La deuxième fut promulguée à Paris le 26 août 1789. La Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen pour le Franchimont s’inspire largement de la déclaration française, mais est parfois plus progressiste que sa sœur parisienne.
C’est dans le Pays de Franchimont encore que les premiers vœux de rattachement à la France furent exprimés: dès la fin décembre 1792, assemblées municipales, congrès et réunions populaires manifestèrent par acclamations leur désir de s’intégrer à la République française. Les villes de Spa et de Theux convoquèrent leurs habitants le 23 décembre. On vota la réunion à la France, ce qui fut approuvé le 26 décembre par le Congrès franchimontois. La ville de Verviers fit de même le 1er et le 6 janvier1793. Ce geste fut aussitôt imité par quelques communes de la principauté abbatiale de Stavelot-Malmedy.
Et à Liège, me direz-vous ?
L’idée de réunion à la France républicaine faisait son chemin dans l’opinion, véhiculée par deux grandes sociétés populaires : La Société des amis de la Liberté et de l’Egalité et La Société des Sans-Culottes.
Un certain Jean-Nicolas Bassenge rédigea un Rapport fait à la Société des amis de la Liberté et de l’Egalité sur cette importante question : le pays de Liège doit-il être réuni à la France ?
Il y défendait l’idée que le Pays de Liège, après avoir décidé de se séparer de l’Empire, étant à lui seul trop petit et trop faible ; il ne pouvait que s’unir à la France, d’autant plus qu’une union avec les Belges n’était pas envisageable « vu la nature de leurs principes ».
Je rappelle que la révolution brabançonne qui eut lieu vers la même époque fut plutôt défensive par rapport aux réformes imposées par l’empereur Joseph II et donc conservatrice.
La Municipalité de Liège appela à voter le 20 janvier 1793. Les hommes étaient électeurs à partir de 18 ans.
Sur 9.700 votants (soit 50% de l’effectif électoral ), il n’y eut que 40 votes négatifs.
7.548 votèrent pour la réunion avec les réserves émises par la Municipalité ( comme, par exemple, le paiement par la France de la dette du Pays de Liège ).
1548 votèrent (comme les Franchimontois ) pour la réunion pure et simple.
Les résultats furent communiqués à Paris et le 2 février, DANTON, cette figure emblématique de la Révolution, proposa la réunion immédiate du Pays de Liège. La Convention préféra attendre la réception des procès-verbaux confirmant le vote des Liégeois.
Les autres villes de la Principauté et les campagnes voteront en février et sur les 21.519 suffrages exprimés,il n’y avait que quelques dizaines de votes négatifs.
C’est donc le 3 mai 1793 que la Convention nationale française prononça officiellement la réunion du Pays de Liège à la République française.
N’oublions pas que, pendant la période qui nous intéresse (c’est-à-dire entre1789 et 1795 ), la Principauté subit deux restaurations : la première en janvier 1791, lorsque l’armée autrichienne reprit possession des Pays-Bas et rétablit le prince-évêque Hoensbroeck sur le trône.
La deuxième, après la défaite de l’armée française à Neerwinden, le18 mars 1793.
Le nouveau prince-évêque, François-Antoine-Marie De Mean, exerça une répression et ordonna des exécutions capitales. Je vais vous en donner un exemple, car il concerne directement les Verviétois.
Grégoire-Joseph Chapuis naquit à Verviers le 12 avril 1761 et fut officier de l’état civil dans sa ville sous le régime français. Il était acquis aux idéaux de la révolution française et défendait avec acharnement le progrès, les réformes et les droits de l’homme.
Au moment de la seconde restauration, il fut accusé d’avoir trahi la principauté au profit des Français. Il fut arrêté,jugé lors d’un simulacre de procès et condamné à mort par le prince-évêque De Mean. Ramené de Liège dans une charrette, assis sur son cercueil, il fut exécuté sur la place des Récollets, le 2 janvier 1794 devant une foule proche de l’émeute.
Sa statue domine l’actuelle place du Martyr à Verviers.
Mon histoire se termine le 9 vendémiaire de l’an IV (le 1er octobre 1795 ) avec le décret de la Convention nationale qui annexait à la France les Pays-Bas autrichiens, la principauté épiscopale de Liège et la principauté abbatiale de Stavelot-Malmedy.
Une longue parenthèse s’ouvrira le 18 juin 1815 à Waterloo et nous espérons tous qu’elle se refermera bientôt.
Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs, chers amis, nous sommes fiers d’être réunionistes.
Marcel Piette, président de l’arrondissement de Verviers.
Photo : La Belle Liégeoise ou Théroigne de Méricourt, l’Amazone de la Révolution