Depuis les lois Defferre et Chevènement (puis Raffarin), les régions et les grandes villes consolidées par les communautés urbaines ont développé leur poids politique, économique et culturel.
L’aménagement du territoire s’est rééquilibré au profit des régions dont la démographie progresse au détriment de celle de Paris. Des métropoles comme Lyon, Lille ou Toulouse connaissent une expansion remarquable. Après une difficile traversée de la crise due au déclin des industries traditionnelles, le Nord retrouve son dynamisme et une ville telle que Valenciennes, proche de Mons, a connu un redressement spectaculaire.
Il serait absurde d’alléguer qu’une Wallonie devenue région française serait livrée la corde au cou et démantelée dans un État qui s’est largement décentralisé. Ceux qui évoquent cette menace sont souvent les mêmes qui acceptaient, il n’y a guère, l’abandon dans lequel l’État belge avait laissé une Wallonie malmenée par les déchirures de son vieux tissu industriel.
Que la France d’aujourd’hui, tout en se régionalisant, ait conservé les caractéristiques d’un État relativement fort, devra rassurer les Wallons. Ce dont ils ont souffert, avant comme après la régionalisation, c’est sans doute de la grande impéritie de l’État. L’ancien État belge unitaire n’est pas venu au secours de la Wallonie lorsque celle-ci appelait à l’aide. C’est la Wallonie elle-même – mais à quel prix – qui a sauvé ce qu’elle a pu dans sa sidérurgie fragilisée ; c’est elle qui l’a redressée, permettant ensuite un arrangement avec Usinor. Au milieu des années 1960, lorsque l’acier wallon commença à donner des signes de faiblesse, le gouvernement belge n’intervint pas en faveur des bassins de Liège et de Charleroi, mais contribua puissamment à la création ex nihilo d’une sidérurgie flambant neuve et performante (Sidmar) près de Gand. La France, quant à elle, a agi comme État redevable d’une solidarité nationale ; elle l’a fait principalement dans la triple direction d’un aménagement du territoire plus équilibré, d’une politique industrielle et de recherche, et d’une intervention en faveur des régions en difficultés. Elle n’est donc plus le monstre jacobin que, par habitude ou par allergie à son endroit, certains agitent encore mécaniquement comme un épouvantail. S’ils veulent être édifiés, qu’ils comparent seulement Lille et Charleroi, toutes deux touchées il y a trente ans par les crises de restructuration.
Mais aujourd’hui Lille est devenue une grande métropole attrayante et rayonnante (Charleroi en revanche…)
La France est sans doute l’un des pays européens qui est le plus attaché à ses propres différences et à ses identités régionales : patrimoine architectural et artistique, paysages, traditions, modes d’exploitation du sol, vignobles et produits locaux mais aussi les accents et les neuf langues régionales. On sait que plus de trois cents lycées et collèges enseignent l’une de celles-ci. Qu’ont obtenu les ultrarégionalistes wallons à cet égard ? Il se pourrait bien que les langues régionales de Wallonie (le wallon, le picard, le lorrain…) soient mieux traitées en France qu’elles ne l’auront été dans le cadre belge, même fédéralisé.
Les nombreux Wallons qui connaissent bien la France savent qu’elle est un subtil et indéfinissable alliage d’unité et de diversité. Diversité de la France : elle saute aux yeux lorsque l’on séjourne dans la profondeur de ses provinces. C’est elle qui forme son identité. Fernand Braudel, et combien d’autres, l’ont démontré. Et trois des sept tomes des Lieux de mémoire de Pierre Nora sont sous-titrés « Les France ».
La France : « pays de pays ». L’école républicaine a eu des vertus assimilatrices et égalisatrices, mais elle n’a pas empêché la France de rester particulariste. Cette école-là, chantée par Marcel Pagnol dans La gloire de mon père, n’a pas été l’instrument d’un anéantissement des petites patries.
En tout état de cause, rien n’interdira à des régionalistes wallons devenus français de rejoindre le camp de ceux qui, dans la France d’aujourd’hui, estiment qu’il faut aller plus loin et plus vite dans le mouvement déjà bien engagé de la régionalisation et de la décentralisation.
Paul-Henry Gendebien