Un échec supplémentaire du fédéralisme belge !
par Paul-Henry GENDEBIEN, président fondateur du R.W.F. (Rassemblement Wallonie-France)
Texte publié dans La Libre du 25 janvier 2013
Plus personne ne le conteste : le rail wallon connaît un « retard historique ». La plupart des commentateurs n’osent pas s’interroger sur le pourquoi de cette situation craignant de devoir constater que le fédéralisme ne fonctionne pas, rompant ainsi avec la pensée belgiciste correcte.
Le cas de la SNCB est éclairant car il montre bien le triple échec de notre système fédéral : il n’a pas rétabli la « Pax belgica » dans les relations entre Flandre et Wallonie ; il a créé un appel d’air pour les revendications autonomistes flamandes ; il n’a pas enrayé le processus de réduction de la Wallonie à un statut de protectorat.
Les députés wallons ont raison de se fâcher en découvrant – tardivement – que le plan d’investissement de la SNCB roule la Wallonie dans la farine. Mais oseront-ils remettre en question le « modèle » belge ? Il le faudrait, car ils auraient ainsi une chance de prendre conscience de la soumission wallonne, du dramatique vieillissement de nos infrastructures (rail, routes, canaux, etc.) et des obstacles rencontrés par la Wallonie pour affronter les conséquences de sa désindustrialisation.
Une clé de répartition léonine
Depuis des décennies, la classe politique wallonne a accepté le sous-équipement récurrent du rail wallon. « Lâchons du lest à la Flandre, disait-on, nous obtiendrons en retour l’apaisement communautaire. » On a donc lâché du lest et de surcroît on a dit merci ! C’est ainsi que la Wallonie a été rationnée comme en temps de guerre en se laissant imposer une clé de répartition léonine pour les investissements de la SNCB, à savoir 60% pour la Flandre (dont le territoire est plat et exigu) et 40% pour la Wallonie, plus vaste et surtout plus accidentée, ce qui implique des coûts plus élevés et donc des budgets supérieurs. Dans le même temps, la Wallonie abandonnait l’essentiel de la direction des chemins de fer « belges » aux partis flamands, en échange de quelques « fromages » de second rang – mais plantureusement rémunérés – concédés à des nomenklaturistes wallons principalement issus du PS et du MR.
Par ailleurs, la Wallonie officielle ne sait pas vraiment ce qu’elle veut et se refuse à définir ses priorités réelles. Fascinée par le mirage des apparences somptuaires et soucieuse de plaire à une clientèle électorale toujours reconnaissante, elle a mendié auprès de la Flandre l’autorisation de jeter près de 450 millions d’euros (18 milliards de FB) dans la nouvelle gare de Liège. Et puisque par définition la folie des grandeurs est illimitée, elle est en passe d’obtenir entre 200 et 250 millions d’euros (8 à 10 milliards de FB) pour le dernier jouet de M. Di Rupo à qui personne n’ose rien refuser : une autre gare à Mons.
L’ancien Président de la Côte d’Ivoire, M. Houphouët-Boigny, avait construit à coup de détournements gigantesques une immense cathédrale près de sa capitale. Nos chefs coutumiers wallons, surtout ceux de Liège et de Mons, se sont eux aussi persuadés que des monuments grandioses consolideraient leur prestige et impressionneraient leurs populations. Certes, tout n’est pas faux dans le discours de ceux qui pensent que la gare des Guillemins peut offrir des atouts en termes d’image, de modernité, d’audace architecturale… Mais fallait-il, en parallèle, compromettre le rééquipement du rail wallon et se lancer dans une autre opération pharaonique à Mons ?
Un plan désastreux
Ce qui précède en atteste : la Wallonie est trop peu gouvernée, elle est seulement administrée à la petite semaine. Ne s’étant pas donné une vocation nationale et étatique, le pouvoir wallon s’est condamné à demeurer régional et donc dépendant, voire sous-régional, inévitablement électoraliste et clientéliste. Obséquieusement vissée au pouvoir belgo-flamand qui la regarde de haut, la Wallonie officielle n’a pas encore compris que son pacifisme naïf à l’égard du mouvement flamand ne lui rapportera plus rien. En se comportant comme si la Belgique était éternelle et en négligeant de préparer un autre avenir, les élites francophones annoncent des lendemains qui ne chanteront pas,
Le plan d’investissement 2013-2025 de la SNCB est désastreux pour la Wallonie. Il ne retient, comme prioritaires, que trois projets wallons sur trente-cinq ! Et les milliards attendus ne seront pas au rendez-vous. Le RER, censé relier le Brabant wallon à Bruxelles, se réalisera peut-être, mais aux calendes grecques. La modernisation de l’axe Bruxelles-Namur-Luxembourg prendra dix ans de retard. Des lignes vitales pour les populations et les activités locales seront hypocritement asphyxiées afin de pouvoir être plus aisément fermées dans un deuxième temps (c’est le cas de la ligne Liège-Gouvy-Luxembourg).
Il sera trop tard pour inverser la vapeur ultérieurement, même si un hypothétique État Wallonie-Bruxelles indépendant, mais totalement désargenté, devait prendre le relais : il ne lui resterait qu’à privatiser les derniers kilomètres de voies ferrées qui auraient survécu. Quant à l’État fédéral belge, il ne fera plus rien de significatif. Il n’en a pas la moindre volonté. Ce n’est pas Bart De Wever qui refuse de donner un coup de pouce à la Wallonie. c’est Paul Magnette en personne qui s’en est chargé : l’ex-ministre des chemins de fer vient en effet de déclarer à la télévision le 16 janvier 2013 que la clé de répartition « 60-40 » est parfaitement avantageuse pour la Wallonie ! Franchissant ainsi un pas décisif dans l’abaissement et dans la complaisance à l’égard de la Flandre, le nouveau chef du PS a bel et bien poignardé M. Demotte dans le dos alors même que le Parlement de Namur veut renégocier le plan d’investissement de la SNCB. Ce scenario lamentable est révélateur de l’état de dépendance de la Wallonie : l’appareil partisan qui contrôle la région s’est obligé à faire profil bas devant le système belgo-flamand qui lui accorde, en échange, sa protection, une protection qui lui garantit – pour un temps encore – les moyens tout juste suffisants pour se maintenir au pouvoir et en percevoir la rente y afférente.
Se tourner vers la SNCF
Ce qui se passe à la SNCB se reproduit ailleurs, à la Poste, à l’aéroport de Zaventem, à Belgacom, dans la haute administration, à l’armée, à la police fédérale, dans la diplomatie (où le néo-orangiste Reynders veut raviver le Benelux via des ambassades communes avec les Pays-Bas).
Trente ans de fédéralisme ont rendu les Francophones encore plus minoritaires au sein de l’État belge. Leur faiblesse volontaire est en cause, tout autant que la force affirmée des Flamands. Pour ce qui est de la bataille du rail, on verra en fin de parcours qu’elle s’achèvera par une cruelle défaite de la Wallonie. Ainsi le fédéralisme à la belge est-il devenu une nuisance pour les intérêts wallons et bien entendu bruxellois.
La Flandre n’a nullement renoncé à régionaliser la SNCB. Pour les chemins de fer wallons, la solution n’est plus dans un vain appel à la charité flamande ou à la justice distributive fédérale, elle réside seulement dans une scission de la SNCB, accompagnée de l’intégration du réseau wallo-bruxellois dans la SNCF, autrement plus performante. On en reparlera sûrement dans quelques années, mais ne sera-t-il pas alors trop tard pour réparer les dégâts commis, entre-temps ?