L’Etat belge finissant : analyse de Jean Quatremer, journaliste à Libération

Ces dernières semaines, on a beaucoup parlé des exilés fiscaux français. On sait que l’Office des Etrangers et le parquet ont déjà donné un avis négatif à la naturalisation de Bernard Arnault, première fortune d’Europe. Ce possible refus de l’accueillir est-il perçu comme une histoire belge ?
Ce qui me frappe surtout, c’est que les Belges réagissent favorablement à l’arrivée d’exilés fiscaux dans leur pays. Cela me surprend qu’ils ne s’interrogent pas plus sur leur système fiscal qui est un enfer fiscal pour le travail, mais un paradis pour le capital. Cela interroge moins la France que la Belgique.
Le fiscaliste belge Thierry Afschrift nous affirmait récemment que « ce n’est pas la Belgique qui est un paradis fiscal, c’est la France qui est un enfer fiscal ».
Non, il suffit de comparer l’imposition du travail qui est nettement plus lourde en Belgique. La grande différence est que la France impose de la même façon les revenus du capital et du travail. Pour les travailleurs belges, l’enfer fiscal est ici ! Et en termes de fiscalité, la reine Fabiola vient de rendre un grand service à la Belgique…
Où voulez-vous en venir ?
Je dis MERCI Fabiola ! La reine Fabiola n’a pas planqué son argent en Suisse ou aux îles Caïman. Comme de nombreux citoyens, elle n’a fait qu’utiliser le système fiscal belge. Ce sont les Belges, et les politiques qui s’en étonnent aujourd’hui, qui ont voté des lois qui permettent d’échapper à l’impôt. On va jusqu’à reprocher à la reine Fabiola d’utiliser la législation belge, alors qu’ell reste totalement dans le cadre de la loi pour optimiser sa succession privée. Ce n’est pas de l’argent public (note : cette analyse est loin d’être prouvée) . Elle fait comme tout le monde en Belgique! Mais attendez, si ça vous choque, changez la loi. D’autres disent que ce n’est pas moral. Si ce n’est pas moral, changez la loi. On n’a aucune raison de s’en prendre à la reine Fabiola. Elle est le reflet des Belges, qui feraient mieux de s’en prendre à leur fiscalité.
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Toujours sur le plan fiscal, le commissaire européen Karel De Gucht est accusé de fraude fiscale en Belgique. A la Commission, on trouve normal qu’il puisse rester à sa place ?
Ce qui est clair, c’est qu’il y a une étrange omerta qui règne sur l’affaire De Gucht. C’est le plus frappant, on n’en parle quasiment pas. Alors que dans cette affaire, il devrait en tirer les conséquences et se mettre en congé de la Commission le temps de régler son problème fiscal vis-à-vis de l’Etat belge. Il y a quelque chose de choquant dans le fait qu’un commissaire puisse continuer à représenter l’Europe dans ces conditions.
Pourquoi une omerta ?
C’est très surprenant ! Je crois que l’affaire est très belgo-belge. Sans doute que la presse internationale ne s’y est pas encore intéressée par manque de temps. Les correspondants européens sont complètement concentrés sur la crise de la zone euro.
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En Belgique, les séparatistes bénéficient actuellement d’un soutien populaire important en Flandre. Comment expliquez-vous notre situation communautaire aux Français ?
Je dis depuis longtemps que la Belgique est devenue un pays totalement artificiel, avec 2 espaces publics qui ne se parlent presque plus : des télévisions et journaux francophones ou flamands, les responsables politiques ne sont que responsables devant leur propre communauté linguistique. A part les navetteurs à Bruxelles, le Nord et le Sud du pays n’ont plus aucun lien. Ce n’est pas nouveau, mais cela s’est accru. Dès que j’ai mis les pieds ici – début des années 90 – j’ai vu un pays en phase terminale…
Vous n’êtes donc pas surpris ?
Si, je suis surpris par la surprise des Belges – francophones surtout – qui semblent découvrir l’envie d’indépendance des Flamands. Même Guy Verhofstadt ‘découvre’ la situation, alors qu’il a joué avec le feu communautaire. Tous ces Flamands qui s’étonnent de la montée de la N-VA alors qu’ils ont alimenté le conflit communautaire pendant des années et soutenu les courants flamingants, c’est quand même à se taper le cul par terre. Ces gens-là ont tout fait pour séparer le pays en deux à leur époque… même si aujourd’hui ils ont changé de discours.
Quand vous voulez une séparation de corps, chacun finit par prendre ses cliques et ses claques et quitter la maison commune.

L’article complet de La Libre du 12 janvier 2013

L’Etat belge est un paradis fiscal pour les très riches