La sixième réforme de l’Etat : une étape supplémentaire dans la marche vers la dislocation de la Belgique.
1. Une euphorie indécente encouragée par les médias francophones
A l’issue (provisoire) des négociations institutionnelles pour une sixième « réforme de l’État », les chefs des partis francophones se sont laissé aller à une euphorie frôlant parfois l’hystérie.
A la limite, on n’était guère éloigné de certaines formules telles que : « Vive le nouveau Royaume de Belgique de mille ans ! »
Inutile de dire que les médias applaudissaient avec un enthousiasme juvénile et sans la moindre prudence, alors même qu’ils ne disposaient pas encore des textes officiels de l’accord… Le moment est venu de s’interroger : pourquoi les francophones ont-ils capitulé ?
Première explication : la nouvelle génération politique wallo-bruxienne est aveugle et sourde. Elle a tout oublié et n’a rien retenu de l’histoire politique du dernier demi-siècle. L’une de ces leçons consiste à dire que le prix payé par les Wallons et les Bruxellois pour tenter d’obtenir une paix durable n’a jamais produit l’apaisement escompté. Chaque fois, on a repayé le véhicule d’occasion qui ne cessait de retomber en panne. Chaque fois, on a aiguisé l’appétit du mouvement flamand dont on sait bien qu’il ne sera rassasié que le jour du décès final de l’État belge. Entre-temps, la Flandre en demande et en redemandera toujours plus.
Deuxième explication : les chefs de partis francophones, qui se nourrissent du régime, ne sont pas totalement dupes, mais ils ont choisi délibérément de cacher la vérité à leurs électeurs, voire de carrément leur mentir.
Dans les deux hypothèses, les Di Rupo, Milquet, Michel et Javaux (avec leur parti unique PSCDHMRE) jouent les apprentis sorciers et nous préparent des lendemains qui ne chanteront pas.
2. Contrairement à ce qu’on a pu lire dans certaines gazettes fascinées par le « magicien Elio », la paix communautaire n’est nullement garantie.
On a tenté de faire accroire aux braves gens que la Belgique était sauvée. Rien n’est plus faux ! Les vieux partis, usés jusqu’à la corde, à bout de souffle, tout à la fois sordidement complices et mortellement rivaux, ont essayé de construire une sixième réforme de l’État sur trois paris, c’est-à-dire sur des fondations qui ne résisteront pas à de futures secousses dans le sol communautaire. Ces trois paris, aussi hasardeux qu’une roulette de casino, seront perdus. Autant s’en aviser dès aujourd’hui.
Premier pari des négociateurs francophones : la N-VA va commencer à régresser parce qu’elle a mangé son pain blanc
Illusion naïve ! Nous savons bien qu’à force de vouloir diaboliser la N-VA à tout prix (après voir négocié avec elle pendant un an), on prend ses désirs pour la réalité. Et en faisant de la morale avant de faire de la politique, on s’expose à sous-estimer les rapports de force et les tendances longues. En vérité, la N-VA, quel que soit le jugement porté sur ce parti, est plus que jamais en phase avec l’opinion flamande. Aux prochains scrutins, il n’est pas du tout exclu que la N-VA frise ou même dépasse les 40% des suffrages. Pour les élections communales d’Anvers, le CD&V n’est crédité que de 4% (vous avez bien lu !) des intentions de vote…
C’est là un indice éloquent des mouvements de fond qui agitent la Flandre profonde. Autant le savoir : les nationalistes (qui donnent un visage avenant un peu à la façon d’un Jordi Pujol), le leader catalan de Convergencia y Union, seront très probablement en mesure de diriger le gouvernement régional flamand au printemps 2014.
En tout état de cause, la puissance du séparatisme flamand – qui a essaimé dans la totalité des partis – reste et restera intacte. Elle grandira encore, quand se manifestera la frustration qu’inspirent les nouvelles réformes. Celles-ci, même si elles vont largement dans le sens des exigences de la Flandre, sont loin de répondre à la « révolution copernicienne » attendue.
Mais il n’y a pas que l’institutionnel ! On verra bientôt que les crises cumulées – monétaire, financière, budgétaire – que connaît l’Europe, n’ont pas fini de frapper durement. Elles n’épargneront pas la Belgique. L’État belge (et avec lui la Région flamande qui en subira les conséquences) pourrait bien rester dans le collimateur des agences de notation et des marchés. Les opérations chirurgicales (budgétaire et fiscale), que devra consentir un gouvernement Di Rupo, seront interprétées en Flandre comme une preuve complémentaire de l’impuissance congénitale et fatale de l’État belge, même s’il est en voie d’être réformé. Les séparatistes en tireront argument pour accélérer la transformation de la nation flamande en État.
Dans les mois à venir et dans les toutes prochaines années, les crises de l’euro et de l’Europe seront systémiques : elles ne ressouderont pas la Flandre à un État belge de plus en plus faible. Au contraire ! elles éloigneront la Flandre de la Belgique.
C’est donc un mensonge d’État que d’affirmer qu’on serait en face d’une « nouvelle Belgique » et que la sixième réforme institutionnelle en 40 ans sera la « der des der ».
Deuxième pari des négociateurs francophones : la paix communautaire est garantie pour 10 ans
Encore une illusion, encore une tromperie diffusée en direction de ceux qui désirent être trompés.
Chacun devrait pourtant le savoir : les accords, notamment en ce qui concerne le régime des facilités, la nomination des bourgmestres en périphérie bruxelloise, la loi de financement, sont truffés de pièges et d’embrouilles susceptibles d’enrayer à nouveau, et gravement, la mécanique fédérale. On le verra sûrement dans le contexte des prochaines élections communales de 2012.
Une fois de plus, la Flandre a obtenu beaucoup, mais pas assez à ses yeux. Une nouvelle « réforme » sera exigée à court terme, et au plus tard à l’approche des scrutins de 2014, fédéral et régional. C’est-à-dire demain.
Troisième pari : la Wallonie va se redresser dans les 10 ans et sera donc capable de se passer des transferts flamands et de s’assumer
L’ambition est noble, mais rien n’indique, à l’heure présente, que la structure économique wallonne évoluera plus vite dans les 2 prochaines années que pendant les 30 années qui viennent de s’écouler. Le pouvoir wallon pourra-t-il accomplir en 10 ans ce qu’il n’a pas pu ou pas voulu accomplir en 30 ans ?
La Wallonie, malgré des progrès sectoriels ou locaux enregistrés ici et là, demeure soumise à des handicaps structurels lourds : faiblesse de son secteur industriel, absence d’un vrai pôle de développement endogène, proportion élevée d’emplois publics et/ou subsidiés, taux d’activité notoirement insuffisant dans la tranche d’âge des plus de 50 ans… Il y a là autant de lacunes graves.
Sans compter les dysfonctionnements engendrés par la politisation à outrance de l’administration régionale et communautaire et des instruments d’animation économique qui quadrillent l’espace wallon.
Et les retards accumulés pendant les années de vaches grasses, c’est-à-dire de bonne conjoncture. Dorénavant, la basse conjoncture internationale et les désordres européens rendront encore plus périlleuse et plus aléatoire une éventuelle marche en avant de l’économie wallonne.
L’austérité que M. Di Rupo tentera d’imposer à M. Demotte et à son gouvernement wallon n’améliorera pas le climat des affaires et ne favorisera ni la relance de la confiance des opérateurs et des consommateurs ni celle des investisseurs.
Les nécessaires évolutions structurelles de l’économie wallonne ne se produiront, par conséquent, qu’à un rythme trop lent pour devancer l’impatience flamande et prévenir les effets de la fin annoncée de la solidarité interrégionale et d’une austérité excessive qui conduirait à la décroissance.
3. Il faut le souligner : quoi qu’en disent les propagandistes de la belgitude, celle-ci ne ressortira pas du tombeau.
Pour autant qu’ils soient effectivement votés par le Parlement fédéral, les accords institutionnels ne sont pas de nature à réguler les relations entre Flandre et Wallonie.
Les accords n’ont rien d’historique. On s’en apercevra bientôt. Comme on l’a vu depuis 50 ans, ils ne sont que le fruit provisoire d’une addition de mécontentements respectifs. Ils ne sont pas équilibrés car la plus grande partie des « avancées » tombent dans l’escarcelle flamande.
Il est absurde de considérer que la nouvelle réforme de l’État serait bonne « parce que la N-VA et le FDF ne l’apprécient pas ». Rappelons qu’en 1978, on faisait une analyse inverse !
C’était l’époque du Pacte d’Egmont dont les vertus tenaient au fait que la Volksunie et le FDF l’avaient soutenu conjointement…
En réalité, les quatre partis traditionnels francophones ont signé des accords partiels – qui en appellent d’autres – avec des partis flamands minoritaires tétanisés par la concurrence de la N-VA.
Di Rupo et ses associés ont beaucoup donné, en termes de concessions, à une Flandre représentée, en apparence, par des partis « modérés ». Ils n’en seront pas récompensés. Car il n’y a que des partis flamands. Ce qui est vrai, c’est que le formateur, dans l’espoir de devenir Premier ministre, a payé un prix élevé au mouvement flamand. Les partis wallons et bruxellois, comme en 2001 à l’occasion du calamiteux pacte du Lambermont, ont abandonné des positions politiques contre de l’argent. Normal : les francophones n’ont pas de stratégie digne de ce nom. Pendant des années, ils se sont déclarés « demandeurs de rien » ! Il n’est pas surprenant, dès lors, qu’ils n’aient pas obtenu grand-chose… Pour faire bonne figure, ils font donc mine de s’en contenter et de dire merci aux négociateurs flamands. Hélas pour M. Di Rupo, il n’a pas inventé la machine à remonter le temps et il n’inversera pas le trajet du Titanic belge qui vogue insouciant vers le naufrage.
Le drame de M. Di Rupo, ce pacifiste naïf, c’est qu’il n’a pas de véritable vision nationale (que celle-ci soit belge ou wallonne…) ni même tout simplement étatique. Il n’a que des intérêts immédiats à défendre, plutôt que des principes. D’où la fragilité de sa position.
4. La sixième réforme de l’État n’est qu’un pas de plus accompli dans la direction d’une partition de la Belgique
Comme l’a écrit avec pertinence le journaliste français Jean Quatremer, la réforme concoctée par « la bande des huit » conduira à la dislocation ultime.
Comme les cinq réformes précédentes.
Avec une autonomie fiscale pour les régions de près de 11 milliards d’euros, avec des transferts de compétences évalués à 17 milliards, on voit bien que le saucissonnage de l’État fédéral se poursuit allègrement. L’atelier de découpe belgo-flamand va de nouveau besogner avec ardeur.
Dans le même temps, on pressent la résurgence de conflits qui n’ont pas vraiment été gommés. C’est inévitable.
En effet :
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BHV est scindé sans contrepartie réelle, sinon un peu d’argent concédé sans conditions.
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Les circulaires Peters & Cie sont officiellement entérinées par le camp francophone.
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Les trois bourgmestres ne sont pas nommés et les procédures de nomination et de recours sont incertaines.
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Il n’y a pas d’élargissement de la Région de Bruxelles-Capitale et surtout il n’y aura pas de continuité territoriale entre la Wallonie et Bruxelles.
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La Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des minorités ne sera pas ratifiée.
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La loi de financement des Communautés et Régions est farcie d’ambiguïtés et d’aléas. Les Francophones ont déjà été roulés dans la farine, à cet égard, en 1988 et 2001. Ils le seront à nouveau, à terme. La Wallonie sera perdante sauf redressement exceptionnel et miraculeux dans le bref délai d’une décennie, en pleine tourmente internationale.
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Les moyens attribués aux Régions en liaison avec les transferts de compétences seront réduits à un pourcentage estimé entre 80 et 90% des crédits actuellement affectés auxdites compétences. Un douloureux manque à gagner s’annonce…
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Les Régions – mais aujourd’hui la Flandre fait savoir qu’elle s’y refusera – seront invitées à participer à l’effort fédéral d’assainissement budgétaire exigé par l’Europe. A l’heure où on écrit ces lignes, le volume des contributions régionales n’est pas déterminé, ce qui devrait relativiser encore davantage l’euphorie de façade.
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Les distorsions et les concurrences fiscales et sociales entre régions sont permises, pour ne pas dire encouragées. Ceci va à rebours de ce que souhaite l’Europe dans la pratique des États membres… Chez nous, la part régionale de l’IPP (Impôt des Personnes physiques), soit environ 30%, sera soumise à des écarts croissants d’une région à l’autre. Quant aux matières sociales, on commence à les dépecer, notamment en ce qui concerne les soins de santé, les maisons de repos, l’emploi, les allocations familiales, etc. Chacun peut deviner, sans aucun risque de se tromper, que la hauteur des interventions dans ces matières sociales variera sous peu en fonction des décisions prises par les divers autorités régionales. A ce sujet, on a encore à l’oreille les mâles propos de Mme Milquet jurant qu’un enfant francophone serait toujours l’égal d’une enfant flamand. Encore une promesse qui s’est évaporée…
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Le Sénat est transformé et abaissé au rôle d’une assemblée de deuxième catégorie. Il s’agira d’un Sénat des Communautés et non pas des Régions. Encore une défaite du mouvement wallon… Le nouveau Sénat ne sera pas paritaire, contrairement à la norme en vigueur dans la plupart des systèmes fédéraux. Il restera de surcroît soumis, comme la Chambre des députés, à la loi de la majorité flamande.
5. La Flandre n’a pas dit son dernier mot
Du côté flamand, les accords institutionnels seront vivement combattus par la N-VA et le Vlaams Belang. L’un des talons d’Achille du futur gouvernement Di Rupo – s’il se constitue – c’est le caractère minoritaire de son aile flamande. En effet, il n’y aura qu’une minorité d’élus flamands – 43 sur 88 – pour soutenir le gouvernement Di Rupo.
La mauvaise humeur provoquée par cette situation se transformera d’ici peu en sentiment de frustration du côté flamand. Sentiment que viendra renforcer la présence d’un « rouge wallon » (du point de vue flamand s’entend, car il est clair que M. Di Rupo est très peu socialiste et très peu wallon) au 16 rue de la Loi. A cet égard, il est possible qu’on assiste, dans le courant de 2012, à une « leburtonisation » de M. Di Rupo par la Flandre, un vocable qui rime richement avec carbonisation et qui fait allusion aux coups de poignard aimablement donnés par le CVP (l’ancêtre du CD&V) au dernier Premier ministre socialiste wallon, M. Edmond Leburton. C’était en 1973…
Aussi « l’état de grâce » du formateur pourrait-il être de courte durée. Comme le disait un observateur un brin cynique : après « l’état de grâce », « l’état de Grèce » ?
A cet égard, les récents et dramatiques dossiers Dexia et Arcelor Mittal, en attendant les suivants, sont des coups de semonce inquiétants par leur brutalité et leur sévérité.
Enfin, la détérioration rampante des finances publiques belges se poursuit, lourde d’incertitudes et de menaces dans le cadre d’une mondialisation incontrôlée. Ce qui ne signifie nullement que la Flandre laissera la Belgique en paix. Ce qui se passe aujourd’hui n’est qu’un sursis. Les Francophones n’ont obtenu de la Flandre que la cigarette du condamné.
Le fédéralisme belge est plus que jamais un fédéralisme de disjonction, ce soi-disant modèle d’une malheureuse Europe qui va elle-même à vau-l’eau.
Unis dans le même élan suspect, les partis et les médias ont dit aux Wallons et aux Bruxellois nostalgiques au sujet de l’ancienne Belgique :
« Votre pays sera guéri si on le découpe un peu plus ! Votre chère Belgique restera debout si on lui coupe une jambe et un bras ! En un mot, elle survivra si elle accepte de mourir un peu ! »
Encore une histoire surréaliste bien de chez nous…
6. En guise de conclusion (provisoire)
Le R.W.F. avait prévu et annoncé l’hypothèse de la récente capitulation des partis francophones officiels. Une fois de plus, le R.W.F. est la seule force organisée et militante, en Wallonie comme à Bruxelles, capable à la fois d’analyser les mécanismes de notre colonisation par l’État belgo-flamand, et de proposer un projet cohérent, clair et intransigeant pour notre avenir ; c’est aussi la seule force qui aura construit une vision idéologique républicaine de l’État et de la société, capable de répondre aux incertitudes et aux désordres contemporains.
Le R.W.F. est la seule vraie opposition wallonne au système belge. Mais mieux encore ! Il représente surtout l’alternative wallonne pour demain et l’espérance wallonne. Il offre en outre aux Bruxellois une communauté de destin dans le cadre d’une République française ouverte sur l’Europe et sur le monde. Les échos positifs que nous recevons de nos sections d’arrondissement sont encourageantes. Les activités militantes, la préparation des élections provinciales, les adhésions nouvelles, tout cela démontre que nous restons droits et debout. Les accolades hypocrites des négociateurs n’empêcheront pas les bombes à retardement et à fragmentation d’exploser sous les pas des futurs ministres.
Pour le R.W.F., un seul mot d’ordre : il est impératif de rester mobilisé.
Dans l’obscurité qui persiste au-dessus de la Wallonie et de Bruxelles, le R.W.F. représente une lumière nécessaire et indispensable.
Paul-Henry Gendebien
co-président du R.W.F.