La Belgique a un problème avec la participation citoyenne
Le rapport 2020 « Democracy index »
(classements p. 11 et 52)
Une opinion d’Alexandre Detroux, expert de la participation citoyenne chez CitizenLab (1) publiée dans La Libre du 24 février 2017 (le classement porte donc sur 2016) – l’auteur n’a aucun lien avec le RWF
Il est impératif de débuter la transformation de l’Etat en une organisation qui fonctionne avec les gens, pas seulement pour les gens.
La neuvième édition de l’Index démocratique annuel publié par « The Economist » contient une vision sombre de la Belgique. Notre monarchie fédérale arrive 35e mondiale [ndlr : 36e en 2020 et la France 24e], derrière l’Italie, l’Inde, le Botswana, et… les Etats-Unis de Trump. Dans la catégorie Europe de l’Ouest, elle se classe 18e, précédant seulement Chypre, la Grèce et la Turquie [ndlr : en 2020, Chypre a devancé la Belgique !]. Contrairement à la plupart de ses voisins, elle n’est pas classée parmi les « démocraties à part entière », mais comme une « démocratie viciée » [ndlr : « défectueuse ou imparfaite]. Face à un jugement si lourd, la question s’impose : que peut-il y avoir de tellement grave ?
En observant la répartition des points obtenus, la raison d’une telle évaluation ressort distinctement : le score belge est extrêmement bas pour la participation politique, en net contraste avec les autres démocraties européennes.
Participation politique
La Belgique se classe dernière de toutes les nations européennes pour la participation politique (notée 5 sur 10). Cette performance abyssale est due à plusieurs aspects. L’adhésion aux partis politiques est basse (4,85 % de l’électorat en 2010 selon une étude de l’ULB) (2) et la participation libre à des associations de la société civile (ce qui exclut celles appartenant aux piliers des partis) est loin d’être commune. Le niveau d’intérêt pour la politique, ici testé avec des enquêtes d’opinion publique comme la World Values Survey et Eurobaromètre, tire le score belge vers le bas. La proportion de ceux qui sont prêts à se rendre à une manifestation légale, ou qui suivent l’actualité politique quotidiennement est insuffisante. Finalement, le taux de vote est considéré comme une variable importante… sauf quand le vote est obligatoire, comme c’est le cas en Belgique. Un récent sondage (3) a néanmoins établi que 36 % d’interrogés belges seraient aussi heureux sans droit de vote.
Plus fondamentalement, les efforts par les autorités pour promouvoir la participation font partie du tableau. Evidemment, l’Etat n’est pas un acteur comme les autres. Si les institutions se dérobent à leur rôle de soutien, les chances que la participation augmente deviennent minces. L’on pourrait discuter des efforts actuels de la Belgique. Mais dans les faits, bien plus peut-être fait que ce qui est effectivement mis en œuvre.
Rendre la politique à la société
La démocratie a été détournée loin des gens. Se confronter aux vraies questions a lentement été mis hors-jeu et le débat politique a été confisqué par les politiciens. Telle est l’opinion de « The Economist », ainsi que la nôtre [le faible nombre de débats politiques invitant toujours les mêmes dirigeants, contrairement à la France, y est pour quelque chose].
Ce dysfonctionnement peut amener les citoyens à visiblement agir contre leur propre intérêt en voulant se débarrasser des élites qui gouvernent, comme cela fut le cas avec éclat lors du Brexit et de l’élection de Donald Trump. Face à une telle menace directe pour la démocratie, la bonne réponse pour les femmes et hommes politiques n’est pas de décréter que l’on ne peut compter sur les masses pour faire des choix de bon sens. La bonne réponse est l’exact opposé : accueillir une participation citoyenne généralisée dans la création des politiques. Les démocraties ne disparaissent pas quand elles deviennent trop « démocratiques », elles commencent à s’évanouir quand elles excluent le demos. La mission pour tous les meneurs est à présent de trouver de meilleurs moyens d’établir un lien avec les citoyens.
Aller de l’avant, tout de suite
La situation inquiétante en Belgique exige une réaction rapide. Il est impératif de débuter la transformation de l’Etat en une organisation qui fonctionne avec les gens, pas seulement pour les gens. Il n’y a pas d’alternative à une reconception profonde de comment l’Etat opère pour le rendre authentiquement et généralement ouvert. Bien sûr, donner vie à la participation peut sembler insurmontable de là où elle gît actuellement. Générer un engagement citoyen n’est certainement pas une chose facile à faire, et encore moins lorsque cela a été négligé pendant longtemps. Mais ce n’est pas une raison pour rester abasourdi.
Le changement peut être mis en mouvement si les freins qui paralysent la situation sont éliminés. Quels sont ces freins ? Premièrement, les opportunités actuellement offertes aux citoyens manquent souvent d’une structure assurant que toutes les voix soient entendues et un consensus atteint. Deuxièmement, de nombreux projets échouent à convaincre les citoyens (et les institutions) d’y prendre part car le temps et les moyens financiers requis dépassent les ressources disponibles. Troisièmement, le « collaboratif » a tendance à se cantonner aux effets d’annonce, avec des contributions individuelles présentées directement au pouvoir organisateur sans émulation entre participants et sans que ceux-ci puissent être témoins des réactions de l’administration face à leur message.
La boîte à outils pour une démocratie du XXIe siècle contient des solutions évitant ces trois obstacles. Un bon exemple est la « civic tech », ou technologie civique. Sa vocation de base est simple : permettre à plus de gens d’échanger plus facilement avec leurs institutions. A une époque où l’information est partout, la « civic tech » permet aux organisations publiques de se tailler une part utile de l’attention numérique de leurs citoyens et de faire un pas dans leur direction.
Il n’est pas suffisant d’être dans les médias ou même en ligne. Les citoyens se prennent d’intérêt lorsqu’ils sont non seulement informés mais peuvent aussi amener leur propre contribution en projets, idées, commentaires, votes, questions. La « civic tech » crée la possibilité pour les acteurs publics d’offrir exactement cela, via une interaction structurée et ergonomique sur leurs plateformes digitales. Cela n’implique pas nécessairement le développement complexe et coûteux de solutions en interne; des outils prêts à l’emploi existent. Vraiment, c’est maintenant principalement une question pour le monde politique de choisir d’épouser le changement.
→ (1) CitizenLab est une start-up de “civic tech” bruxelloise fondée en 2015 qui veut aider les villes et communes à donner la parole à leurs citoyens sur les questions qui les concernent. https://www.citizenlab.co/?lang=fr
→ (2) Van Houte et al., “Party members in a pillarised partitocracy : An empirical overview of party membership figures and profiles in Belgium”, 2013.
→ (3) Generation What ? (2017).