Le mouvement wallon strictement régionaliste est mort et enterré. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Il n’en faut pas moins comprendre pourquoi et comment les velléités d’autonomisme – à l’intérieur ou à l’extérieur du cadre belge – sont hors de propos et inappropriées.
L’émergence du fédéralisme à partir des années 1980 a enlevé sa substance au mouvement wallon. Après les occasions manquées de 1945, 1950 et 1961, il avait révélé ses limites. Incomplet dans ses objectifs, il manquait de radicalité dans ses méthodes. Il marchandait de petites étapes, il se contentait de peu, de trop peu, n’obtenant qu’au compte-gouttes les moyens nécessaires pour corriger les effets d’une désindustrialisation désastreuse, une désindustrialisation qui laissait de marbre le pouvoir belge. Plus grave encore, l’État belge montrait qu’il n’avait aucun projet pour la Wallonie.
Dès lors, le drame historique du mouvement wallon fut de n’être qu’un courant régional dépourvu d’ambition nationale, en face d’un mouvement flamand qui se posait comme national avec une vocation étatique.
Logiquement, le mouvement wallon s’est étiolé parce qu’il avait obtenu ce qu’il avait négocié, à savoir l’apparence d’un pouvoir. Victime en quelque sorte de son succès, il essaimait entre 1970 et 1980 dans toute la superstructure politique suite aux pressions conjointes du Rassemblement Wallon, de la FGTB liégeoise, de la tendance Cools-Dehousse au sein du PS. Mais cette victoire fut payée chèrement : le fédéralisme fut digéré et récupéré par le système des partis, par l’appareil d’État, par la monarchie elle-même. Quant à la résurgence d’un courant néo-régionaliste aux alentours de 1985-1988, avec « Wallonie Région d’Europe », elle fit long feu : le PS « racheta » et réintégra avec habileté et cynisme la mouvance happartiste, contournant du même coup le volontarisme et l’espérance wallonne qu’avaient incarné les Ministres–présidents Spitaels et Collignon.
La « normalisation » par le PS du mouvement wallon avait été facilitée parce que celui-ci manquait d’objectifs clairs et ambitieux, et notamment : miser en priorité sur une réindustrialisation de l’économie wallonne, créer un sens de l’État, charpenter un espace politique et culturel commun, réanimer une démocratie. Au lieu de quoi on sombra dans le clientélisme de chefs de village, le lotissement de la fonction publique, le saupoudrage des crédits, etc. Nous le payons collectivement aujourd’hui, même si on note des embellies sectorielles ou sous-régionales. La stagnation reste notre loi. Comme le prouvent les dernières statistiques des PIB régionaux.
Dans les faits, la Wallonie n’a pas la capacité, simultanément, d’investir massivement dans l’avenir, de contrôler sa dette et de prévenir la fin annoncée de la solidarité flamande.
La Wallonie ne gagnera pas – en tous cas, dans les temps qui lui sont impartis – la course de vitesse entre son propre redressement et l’impatience mortifère de la Flandre. Des économistes sérieux, et parmi eux Jules Gazon, professeur émérite de l’ULG, ont indiqué clairement la non-viabilité économique de la Wallonie.
Ayons le courage de la lucidité : les prochaines élections donneront aux nationalistes flamands – la N-VA, le Vlaams Belang et bien d’autres au sein du CD&V et du VLD – un droit de vie et de mort sur l’État belge. Déjà les hymnes à la gloire des accords « historiques » de 2011 (sixième réforme de l’État) se sont tus : il n’y avait là qu’une dernière cigarette du condamné…
Aujourd’hui, il n’y a pas non plus de solution mitoyenne qui s’inscrirait entre le néo-belgicisme et la fin programmée de l’État. Le confédéralisme, par exemple n’est qu’une chimère.
De même, l’indépendance de la Wallonie d’une part et de Bruxelles d’autre part ne sont que des leurres. Aucun des deux ne pourrait s’assumer financièrement, mais de surcroît une conjonction « wallo-bruxienne » ne serait pas plus vaillante : deux canards boiteux économiques, en se mariant, n’engendreraient pas un volatile gracieux et puissant. Un État indépendant « Wallonie-Bruxelles » s’écroulerait avant même que d’être créé, victime de sa non-crédibilité aux yeux des marchés internationaux. Fondamentalement, il n’aurait pas la volonté de se battre pour subsister, car dépourvu du minimum vital, à savoir la consistance nationale qui constitue les fondements de tout État moderne.
Ne perdons pas de vue ce qui nous attend : la septième réforme de l’État – si elle est mise en œuvre – créera en Flandre un appel d’air irrépressible pour aller beaucoup plus loin vers la dislocation du pays. Par conséquent, il est impératif de préparer l’avenir au départ des exigences suivantes :
-
Nous avons depuis longtemps dépassé le « momentum » et l’opportunité d’un hypothétique néo-régionalisme wallingant évoqué par certains. Ceux-ci retardent de vingt ou trente ans ; ils viennent comme moutarde après dîner, c’est-à-dire à contretemps et en courant le risque énorme de diviser les francophones ou d’offrir gratuitement des armes à l’autonomisme bruxellois le plus réactionnaire et le plus irresponsable. En outre, le courant néo-wallingant est fantomatique, car il n’est pas porté par des forces sociales, intellectuelles ou politiques significatives.
-
Si nous ne pouvons pas et ne devons pas casser l’axe Wallonie-Bruxelles, nous devons cependant veiller à éviter la « fusion-confusion » entre nos deux régions, solidaires certes, mais distinctes.
-
Notre pensée stratégique et notre action doivent se situer dans la perspective d’un destin viable pour la Wallonie. Un Plan F plutôt qu’un Plan B s’imposera finalement comme le seul susceptible d’intégrer la Wallonie (avec ou sans Bruxelles) dans un seul et même État digne de ce nom. : la République française.
En conclusion, le régionalisme wallon a eu sa grandeur et son utilité. Mais les temps ont changé : il n’a plus de sens dans un État belge en pleine décomposition et face à un avenir économique inquiétant et une Europe en forme de point d’interrogation.
Un autre mouvement wallon réapparaîtra tôt ou tard : celui qui exprima son aspiration française dès 1830 et qui fut confirmé à l’occasion du grand Congrès wallon de Liège en 1945.
Il y a là une fidélité plus lumineuse que celle qui s’attacherait à un repli suicidaire.
Paul-Henry Gendebien, président fondateur