Texte de Paul-Henry Gendebien, ancien député
Pendant l’interminable crise gouvernementale qui paralysait la vie publique belge, le quotidien bruxellois Le Soir du 7 janvier 2011 publiait, en première page, cette manchette en caractères énormes : « Belgique sans issue ». C’était une réponse, pessimiste mais réaliste, à la question désormais posée sans détours : comment concilier l’inconciliable ? Il n’y a pas de remède pour guérir un État qui n’en finit pas de mourir. Apparemment, il n’y a que de fausses bonnes solutions, égrenées ci et là ; mais on constatera qu’elles ne sont que des voies de garage principalement destinées à combattre ou à retarder la seule formule salutaire, à savoir la solution française pour la Wallonie, parallèlement à l’indépendance de la Flandre.
Le confédéralisme ne serait que l’antichambre de la séparation
La plupart des observateurs en conviennent lucidement : même s’ils se sont bruyamment réjouis du médiocre compromis qui devait conduire à une sixième réforme de l’Etat en 2014, le processus de dislocation du pays n’est pas enrayé. « La Belgique n’a été sauvée que provisoirement ». Une nouvelle révision de la Constitution, même substantielle, qui approfondirait encore le système fédéral, serait un leurre. Il est vain de penser qu’un affaiblissement supplémentaire et radical du pouvoir central serait en mesure d’arrêter la course au divorce. Un fédéralisme accentué et renforcé au profit des régions – que certains affublent déjà de l’étiquette du confédéralisme – ne remettra pas la Belgique sur pied. C’est l’inverse qui adviendra. Administrer une autre dose de maladie au malade ne le soignera pas, même en politique belge. De nouveaux déséquilibres surgiront immanquablement, créant des appels d’air pour un nouveau train de réformes, avec toujours plus de pouvoirs pour la Flandre et moins de financements pour la Wallonie. Assis entre deux chaises, tiraillé entre le désir de complaire à la Flandre et la crainte de se saborder, l’Etat belge serait dépouillé de certaines compétences régaliennes, telles que la justice, et ferait figure de squelette politique.
Quand le mouvement flamand se fait le promoteur du confédéralisme, ce n’est qu’un moyen d’accéder à une autonomie maximale tout en gardant provisoirement « quelque chose » de la Belgique, à savoir son nom, quelques pouvoirs communs aux deux grandes communautés et peut-être un roi protocolaire qui tiendrait lieu de cerise sur le gâteau. Ici, le séparatisme avance souvent masqué, et le vocabulaire habille une stratégie : le confédéralisme belge couve l’indépendance flamande, il en est la chrysalide prometteuse, prête à se muer en un brillant lépidoptère jaune et noir, les couleurs du drapeau flamand. Parler de confédéralisme plutôt que de souveraineté, c’est tromper ceux qui veulent bien l’être, c’est une habileté pour ne pas brutaliser la fraction modérée de l’électorat flamand.
En droit international, le confédéralisme relève de la catégorie des fantômes. On ne peut l’assimiler à une forme avancée de fédéralisme. Confédérer, c’est unir par traité deux ou plusieurs Etats qui demeurent indépendants : ils ne constituent pas pour autant un nouvel Etat. On songe à cet égard aux précédents de la Confédération sudiste pendant la guerre de Sécession américaine ou à la Confédération du Rhin sous l’empire napoléonien. La Confédération helvétique est évidemment beaucoup plus qu’une association contractuelle à objet limité ; le vocable en usage dans ce cas est une facilité de langage car la Suisse est bel et bien une fédération.
Au demeurant, l’hypothèse est à exclure car pleine de périls pour les Wallons et pour les Bruxellois. Une Belgique confédérale ne serait qu’une « coquille vide ». La Flandre se comporterait déjà en quasi État et les Francophones se marginaliseraient, dispersés entre régions wallonne et bruxelloise, par ailleurs dépourvue de continuité territoriale, sans compter les problèmes posés par les cantons germanophones. Avec le confédéralisme, l’État disparaîtrait partout où il gêne la Flandre ; il ne subsisterait que là où il l’intéresse encore, c’est-à-dire à Bruxelles.
Pour mémoire, on se souviendra de la tentative avortée des Tchèques et des Slovaques en 1992 : essayer une confédération pour éviter une dissolution. En réalité, ce furent les résultats antagonistes des élections du mois de juin qui donnèrent le coup d’envoi au processus de partition. Les Tchèques avaient fait campagne pour un fédéralisme fonctionnel et avaient voté à droite. Les Slovaques, marqués à gauche, étaient partisans d’un partenariat lâche, en clair d’une « confédération ». Le Tchèque Klaus et le Slovaque Meciar s’employèrent à définir un mécanisme confédéral – une association de deux États disposant de la souveraineté internationale ! – dans l’espoir de prolonger la fédération tchécoslovaque vacillante. On nagea peu de temps dans l’utopie car les négociateurs furent incapables de préciser ce qu’ils entendaient par espace minimum commun. N’ayant pu s’accorder sur un confédéralisme, ils s’orientèrent aussitôt vers un divorce de velours. Les deux indépendances furent proclamées promptement et proprement le 1er janvier 1993. On est en droit de s’interroger : les Flamands et les Wallons auront-ils cette sagesse-là ? Mais, préalablement à une séparation concertée, il faudra vérifier la détermination de la Wallonie : aura-t-elle choisi entre l’improbable statu quo humiliant, l’indépendantisme non viable et l’union salutaire avec la République française ?