Ceux qui ne veulent pas désespérer de l’avenir de la Belgique envient parfois le succès de la Confédération helvétique. A contre-pied de l’évolution de l’Etat belge, il est vrai que la Suisse a fait preuve d’une forte capacité de résistance aux ferments de la division et de la fragmentation. Le caractère composite, voire hétéroclite du pays n’a pas été effacé mais surmonté après des siècles d’agglutinations successives. Trois cantons s’associent dans la région centrale de Lucerne à la fin du 13e siècle ; ils étaient vingt-six en 1978, après la création du Jura1. En 1848, après l’apaisement du conflit politico-religieux du Sonderbund, le pouvoir fédéral se consolide. Si les forces centrifuges sont ici beaucoup moins agissantes qu’en Belgique, c’est notamment parce que la Suisse réunit un nombre élevé d’entités fédérées, dont certaines ont un statut linguistique bilingue. La Belgique, quant à elle, a érigé en adversaires deux grandes communautés homogènes engagées dans un fédéralisme de soustraction et de dissociation après avoir vécu dans une structure unitaire de 1794 à 1980. En Suisse, le principe fédératif et les mécanismes qui l’accompagnent ont débuté il y a sept siècles et se sont organisés autour de l’addition des différences et de la convergence des intérêts.
En Suisse, la solidarité des classes dirigeantes et l’adhésion des populations à l’architecture à la fois démocratique, minutieuse et ordonnée de la Confédération ont permis la continuité du régime. Les progrès électoraux d’un courant conservateur et populiste, ainsi que les contradictions qui peuvent opposer Alémaniques et Romands sur des thèmes tels que l’adhésion à l’Union européenne, auront-ils pour effet de rompre les équilibres qui avaient garanti depuis si longtemps la viabilité du pays ? C’est loin d’être sûr, surtout depuis que l’Europe semble avoir renoncé à constituer un pôle d’attraction irrésistible. On n’aperçoit donc pas pour l’instant le risque d’une fracture grave au sein de la maison commune helvétique. Et malgré les apparences, il n’est guère de comparaisons possibles entre le système suisse et l’imbroglio belge. Le constat est sans appel : en quoi les Belges, même s’ils en avaient la volonté, pourraient-ils reproduire le modèle alpin ?