Aujourd’hui, il est de bon ton de pointer du doigt la France en ce qui concerne le début du génocide rwandais.
C’est évidemment une façon de dédouaner la Belgique. Le coup classique.
La devise de la Belgique devrait être : « C’est pas moi, c’est mon voisin ! » Rappelons que la Belgique est en passe d’être condamnée dans ce dossier.
Nous avons retrouvé un entretien d’Alain Destexhe, belgicain s’il en est mais néanmoins spécialiste du dossier, du mois d’avril 2014. En voici la substance :
Le Premier ministre Elio Di Rupo s’est fait une spécialité de s’adresser au public belge à travers une communication « non politique ». On se souvient, entre autres, de sa participation à l’émission « Sans Chichis » à la RTBF, à celle – avortée – à « Top Chef » sur RTL et de la saga autour des pandas.
Lors des commémorations de l’assassinat de nos paras au Rwanda et du génocide, le Premier ministre a franchi un pas supplémentaire. Refusant de représenter la Belgique à Kigali, il était présent au départ de l’avion gouvernemental emmenant les familles des paras. Il s’est même subtilement arrangé pour se retrouver seul au pied de l’avion pour une excellente « photo opportunity », laissant Didier Reynders, Jean-Pascal Labille et Guy Verhofstadt dans le salon d’honneur à attendre le départ officiel vers l’avion ! Le lendemain, il a fort opportunément versé quelques larmes lors de la cérémonie officielle à la Colonne du Congrès.
Vice-Premier en 1994
Tout cela est-il bien décent ? En effet, Elio Di Rupo était Vice-Premier ministre dans le gouvernement de Jean-Luc Dehaene qui a pris tant de décisions funestes en 1994 (note du R.W.F. : ou n’en a pas pris). Certes, ministre des Communications et des Entreprises publiques, il n’était pas directement impliqué dans la gestion du Rwanda contrairement au Premier ministre et à ceux des Affaires étrangères et de la Défense. Mais, en tant que Vice-Premier, il a participé à toutes les discussions et décisions importantes prises en Kern. Avant le génocide, celles qui ont envoyé nos soldats mal préparés et mal équipés dans un pays dangereux dans lequel régnait un climat anti-belge. Lorsque des signes annonciateurs de massacres et de menaces sur les Belges ont été transmis au gouvernement, ils ont également été discutés en Kern sans que la politique indolente suivie en soit modifiée. Mais surtout, après l’assassinat des paras et le début du génocide, le Kern a pris la décision la plus grave aux yeux de l’Histoire : celle de retirer le contingent belge de la MINUAR (La Force des Nations Unies pour le Rwanda) et, pour justifier ce lâche retrait, de non seulement demander le retrait de la MINUAR mais, fort de l’« expertise belge » sur le Rwanda, de faire un lobbying intense auprès du Conseil de Sécurité pour l’obtenir. Le contingent belge formait l’ossature de la MINUAR. Ce retrait a permis au génocide de se dérouler sans opposition pendant 3 mois, ce qui a coûté la vie à près d’un million de Tutsis du Rwanda.
La décision funeste du retrait prise en Kern
En 1997, la Commission d’enquête du Sénat belge a sévèrement condamné ce retrait et l’attitude du gouvernement de l’époque. Les historiens ont établi que les génocidaires avaient attendu la décision du Conseil de Sécurité des Nations Unies, de retirer la MINUAR pour généraliser le génocide à l’ensemble du pays. En effet, ils craignaient la réaction de la Communauté Internationale et ils furent les premiers – agréablement – surpris de cette décision.
Vu la difficulté de mise en place et des travaux de la Commission Rwanda qui visaient à analyser l’attitude d’un gouvernement en place qui disposait évidemment de la majorité au Parlement, la Commission s’est concentrée sur les ministres les plus concernés : Leo Delcroix, Willy Claes, Jean-Luc Dehaene. En conséquence, Elio Di Rupo n’a pas été auditionné, faute d’unanimité parmi les commissaires. Mais cela ne veut pas dire que, comme d’autres, il ne devrait pas s’expliquer sur ce qu’il a su et sur ce que fut sa position en Kern à l’époque.
Ce retrait de l’ONU à l’instigation des Belges est aujourd’hui condamné ou regretté par tous, y compris Bill Clinton, le Président américain de l’époque ou Ban Ki Moon, le Secrétaire général des Nations Unies.
Lorsque Jean-Pascal Labille, le ministre de la Coopération, demande pardon aux familles des paras et à tous les militaires, qu’il parle « d’irresponsabilité », de « lâcheté », « d’abandon de poste de la Communauté internationale et de trop de responsables politiques », qui vise-t-il concrètement ?
A la veille des élections, la communication d’un Premier ministre qui depuis vingt ans ne s’est jamais exprimé sur la tragédie de 1994 et certainement pas pour éprouver le moindre regret, est simplement indécente et incompréhensible.
Il ferait mieux de s’expliquer sur ses positions en 1994.
Alain Destexhe (MR)
Source : blogue Alain Destexhe