Nous reproduisons ici un éditorial de Georges Régibeau publié sur le site de l’A.W.F.
Ce texte n’engage pas l’auteur vis-à-vis du R.W.F.
Nous sommes entrés dans une année électorale et cela va tanguer, frotter, jouer des coudes au sein des différentes majorités gouvernementales, surtout en Flandre, où l’Open VLD, le CD&V et la N-VA, associés aux niveaux fédéral et régional, doivent marquer leur différence et mettre en avant leurs figures les plus populaires, au risque de fragiliser la cohésion des équipes gouvernementales.
Ne parlons pas de la Wallonie, où le PS a été débarqué par le CDh. Pour le MR, à la barre du vaisseau amiral, il s’agit seulement de ramer jusqu’au port.
Autour du Premier ministre, et ne se privant pas de le bousculer, l’état-major de la N-VA donne des coups de barre à droite. Il n’a aucune raison de se gêner puisqu’il ne lui déplairait pas de faire ainsi chavirer le gouvernement fédéral, de manière à provoquer des élections anticipées, qui seraient couplées aux élections communales, en octobre. Ainsi, pour autant que leur score électoral ne les affaiblisse pas, les nationalistes flamands pourraient faire monter le prix de leur participation à un prochain gouvernement fédéral, quitte à ce que rien n’avance vraiment jusqu’au moment des élections régionales, prévues le 26 mai 2019.
L’effacement de la Belgique au profit de la Flandre, ce glissement naturel vers le confédéralisme qui ferait de la Wallonie une région à la fois autonome et captive, sans moyen ni volonté réelle de se prendre en charge, il en est aussi question dans l’envie de la N-VA de rebaptiser le Benelux en « Vlawanelux ». Le Vif/L’Express, dans son édition du 4 janvier dernier, a consacré un article à cette idée qui chatouille l’esprit des nationalistes flamands. Puisqu’il faut se renforcer sur la scène internationale, la collaboration avec les Pays-Bas est bien entendu des plus sensées, avec pour effet que, dans une logique confédérale, le maintien d’une Belgique résiduelle suppose en réalité de gommer les effets de la révolution belge et de revenir en quelque sorte au Royaume-Uni des Pays-Bas rebaptisé « Vlawanelux ».
Maîtres de leur destin, les Flamands continueront de célébrer leur victoire historique sur l’armée du roi de France en 1302, tandis que les Wallons, contents de rester dans une Belgique relookée, ils auront le bon goût d’oublier pourquoi ils font la fête au mois de septembre. A moins qu’ils ne s’enfoncent encore un peu plus dans la schizophrénie.
On sait que, dans une relecture de leur histoire, les nationalistes flamands ont fait de la révolution belge une catastrophe au moins équivalente à la reprise et au sac d’Anvers par les Espagnols en 1576. Quand, le 18 mai 2006, deux députés du Vlaams Belang ont déposé à la Chambre une « proposition de résolution relative au démembrement de l’Etat belge en vue d’accorder l’indépendance au peuple flamand et au peuple wallon souverains », ladite proposition, dont à peu près tous les partis flamands ont accepté de débattre, était précédée d’un long justificatif historique. On y lisait notamment qu’ « il n’est pas exagéré de dire que le gouvernement provisoire a conquis la Flandre avec l’aide des Français », belgophilie et francophilie étant largement synonymes.
« Ce fut également sous la direction de généraux français, à savoir De Parent, Mellinet et Niellon, que la ville et la province d’Anvers furent ‘libérées’. Il ne s’agissait nullement d’une révolte de la population anversoise contre la ‘tyrannie hollandaise’. Au contraire, c’est avec abattement que fut accueillie la déclaration faite par le Roi Guillaume aux États-Généraux, le 20 octobre, que les décisions des Chambres ne s’appliqueraient désormais plus qu’au Nord. La ‘libération’ d’Anvers par le Gouvernement provisoire fut, en réalité, une conquête par des bandes françaises et wallonnes, donc par des étrangers, comme le fit remarquer Jan Frans Willems. Michiel van der Voort comparait la nouvelle ‘armée’ belge à ‘une bande de brigands’. On pouvait certes trouver des idéalistes parmi les ‘libérateurs’, mais la grande majorité était constituée de racaille, d’aventuriers qui, en raison de la crise sociale, n’avaient rien à perdre. »
Cette lecture de l’histoire n’est pas moins légitime que les récits faisant de la révolution belge un glorieux fait d’armes, un événement fondateur sur lequel reposerait notre identité. On aurait tort de l’ignorer sous prétexte qu’elle est forcément viciée par l’extrême droite. En Flandre, il est commun de penser qu’après les Espagnols, au XVIe siècle, ce sont les Français qui ont séparé les Flamands de leurs cousins néerlandophones. « Après deux siècles, la Flandre n’avait plus d’âme, plus de conscience. Elle se laissa entraîner dans la révolution de l’année 30 : jamais révolution plus stupide ne fut déclenchée à la suite d’influences étrangères ! Nous fûmes livrés pieds et poings liés, le français devint la seule langue officielle… » Ces mots ont été écrits en 1896 par le jeune August Vermeylen, un socialiste qui deviendra notamment le recteur de l’Université de Gand quand celle-ci sera flamandisée. Un siècle plus tard, dans une Belgique de plus en plus flamande où le CVP réclamait déjà le confédéralisme, le président du Socialistische Partij, Louis Tobback, a lui aussi fait savoir que, selon lui, la révolution belge était une erreur.
Le rapprochement de la Flandre avec les Pays-Bas, c’est tout sauf une aberration, mais faut-il qu’on raisonne ainsi du côté wallon ?
Petit rappel insistant : la révolution belge nous a fait sortir du Royaume-Uni des Pays-Bas imposé par le Congrès de Vienne et c’est ce que célèbrent les fêtes de Wallonie, en septembre. Ce mouvement révolutionnaire, avec la Marseillaise chantée à Bruxelles, à Liège, à Verviers, juste après les « trois glorieuses » de juillet 1830 à Paris, ce fut notamment une tentative avortée de rejoindre la France. Cette révolution très « française » a finalement donné naissance à la Belgique, avec la bénédiction de l’Angleterre, et parce qu’on sentait bien que ce nouveau pays dont la langue officielle était le français penchait naturellement vers la France, il a fallu faire entrer dans la tête des Belges qu’ils n’étaient pas français et ne le seraient jamais.
Résultat : pour beaucoup de Wallons, rester belge signifie rester avec la Flandre, envers et contre tout. Quitte à la suivre dans son idée de confédéralisme étendu aux 17 millions de Hollandais. Une Wallonie économiquement faible, à l’identité incertaine, coincée dans un avatar de l’ancien Royaume-Uni des Pays-Bas, voilà ce que ces Belges de toujours sont prêts à choisir comme avenir. Par fidélité aux révolutionnaires de 1830. Cherchez l’erreur. On nage en plein surréalisme et certains se satisferont de dire ou d’écrire : « C’est ça la Belgique ».
Mais que diable allons-nous faire dans cette galère…